Nutrition et croissance des bactéries (procaryotes)
Introduction
Selon les conditions environnementales, une bactérie existe sous deux états principaux : (i) l'état végétatif durant lequel sont assurées des biosynthèses équilibrées permettant une croissance plus ou moins rapide et (ii) l'état de repos caractérisé par un minimum d'échange avec le milieu extérieur et par une survie sans multiplication.
Chez les bactéries la croissance peut se traduire par une augmentation de volume des cellules, mais elle conduit principalement à une augmentation du nombre de cellules.
L'état de repos est un état précaire qui nécessite l'absence de conditions létales et la présence d'un minimum de substrats assimilables afin d'assurer le métabolisme de base de la cellule. Dans une population au repos, il existe toujours un taux de mortalité dont l'importance dépend des conditions ambiantes. Dans les conditions de conservation optimale (lyophilisation ou congélation à - 70 °C) le taux de mortalité est faible mais il n'est pas nul.
Pour assurer sa croissance ou sa survie, une bactérie doit trouver dans son environnement de quoi satisfaire ses besoins nutritifs : substances énergétiques permettant à la cellule de réaliser la synthèse de ses constituants et substances élémentaires ou matériaux constitutifs de la cellule.
Nutrition
Toutes les bactéries ont besoin d'eau, d'une source d'énergie, d'une source de carbone, d'une source d'azote et d'éléments minéraux. Ces besoins élémentaires sont suffisants pour permettre la nutrition des bactéries qualifiées de prototrophes. Certaines bactéries qualifiées d'auxotrophes nécessitent, en plus des besoins élémentaires, la présence de facteurs de croissance.
Eau
L'eau représente 80 à 90 p. cent du poids cellulaire. Elle joue un rôle fondamental en solubilisant les nutriments, en assurant leur transport et en assurant les réactions d'hydrolyse. Un paramètre appelé Aw (activity of water, activité de l'eau) quantifie la disponibilité de l'eau. Dans un nutriment, une partie de l'eau est plus ou moins liée aux composants (sels, protéines) et elle n'est pas disponible pour les micro-organismes qui ont besoin d'eau libre pour se développer. L'activité de l'eau se définit comme le rapport de la pression de vapeur saturante du milieu à la pression de vapeur saturante de l'eau pure à la même température. Ce rapport, inférieur ou égal à 1, peut être assimilé à l'humidité relative du milieu. Les bactéries exigent un certain seuil d'humidité et pour des Aw faibles, leur croissance est ralentie.
Certains germes ne se développent
que pour une valeur de l'Aw supérieure à 0,97. C'est le cas des Acinetobacter
spp. (Aw > 0,99) ou de Clostridium botulinum (Aw > 0,97).
Les Salmonella spp. ou Escherichia coli commencent à se
multiplier pour une valeur de l'Aw supérieure à 0,95. Staphylococcus aureus
se multiplie à partir de 0,85 mais la production éventuelle de toxines n'est
possible que pour des valeurs supérieures à 0,97. Listeria monocytogenes
peut supporter une valeur de l'Aw de 0,83 et les bactéries halophiles une
valeur de 0,75.
Les endospores peuvent survivre dans un environnement dépourvu d'eau libre.
Le degré d'humidité des aliments a une influence sur leur conservation et leur séchage est un procédé de conservation fondé en partie sur la diminution de l'Aw.
Source d'énergie
Selon la source d'énergie, les bactéries se divisent en phototrophes et chimiotrophes.
La source d'énergie des bactéries phototrophes est la lumière. Si la source d'électrons est minérale, les bactéries sont qualifiées de photolithotrophes et si la source d'électrons est organique, les bactéries sont photo-organotrophes.
Les bactéries chimiotrophes puisent leur énergie à partir de composés minéraux ou organiques. Si le donneur d'électrons est minéral, les bactéries sont chimiolithotrophes et si le donneur d'électrons est organique, les bactéries sont chimio-organotrophes.
Source de carbone
Le carbone est l'élément constitutif le plus abondant chez les bactéries.
Les bactéries phototrophes et la plupart des bactéries chimiolithotrophes peuvent utiliser le dioxyde de carbone comme unique source de carbone et elles sont dites autotrophes. Pour les autres bactéries la source de carbone assimilable doit être un substrat organique et ces bactéries sont qualifiées de hétérotrophes.
Le dioxyde de carbone seul ne permet pas la survie des hétérotrophes, mais il joue cependant un rôle important chez ces bactéries. En effet, la croissance de nombreuses espèces bactériennes hétérotrophes est impossible en l'absence de dioxyde de carbone et une atmosphère enrichie en dioxyde de carbone favorise la croissance de certaines espèces comme les Brucella spp., Capnocytophaga spp., Neisseria spp., Campylobacter spp., Haemophilus spp., Taylorella spp. ...
Les bactéries hétérotrophes peuvent dégrader de nombreuses substances hydrocarbonées : alcools, acides organiques, sucres ou polyholosides. La liste des substrats carbonés utilisables par une souche bactérienne comme unique source de carbone et d'énergie constitue l'auxanogramme de la souche. Les techniques auxanographiques, généralement réalisées en milieu liquide et en utilisant des microméthodes (systèmes API, BioLogue, ...), sont utilisées pour l'identification des souches et pour des enquêtes épidémiologiques. La bactérie à étudier est placée dans un milieu dépourvu de toute source de carbone autre que celle apportée par le nutriment dont on veut étudier l'assimilation. Selon que la bactérie est capable ou non d'assimiler le nutriment qui lui est proposé, on observera une culture (présence d'un trouble) ou une absence de culture (le milieu reste limpide).
Source d'azote
La synthèse des protéines nécessite des substances azotées.
L'azote moléculaire est fixé par quelques bactéries vivant en symbiose avec des légumineuses ou des champignons ou par des bactéries jouant un rôle dans la fertilisation des sols.
Pour la majorité des bactéries la source d'azote est constituée par d'autres composés inorganiques (ammoniac, sels d'ammonium, nitrites, nitrates) ou par des sources organiques (groupements amines des composés organiques).
Éléments minéraux
Le souffre et le phosphore sont
particulièrement importants.
. Le souffre est présent dans
certains acides aminés (groupement thiol) et il est le plus souvent incorporé
sous forme de sulfate ou de composés souffrés organiques. Pour certaines bactéries,
le souffre doit être apporté sous forme organique (méthiononine, cystéine,
biotine, thiamine) qui se confond avec le besoin en facteurs de croissance (Cf. infra).
. Le phosphore fait partie des
acides nucléiques, de nombreuses coenzymes et de l'ATP. il est incorporé sous
forme de phosphate inorganique.
Le sodium, le potassium, le magnésium et le chlore jouent un rôle dans l'équilibre physico-chimique de la cellule.
D'autres éléments comme le fer,
le manganèse, le molybdène, le calcium, le vanadium ou le cobalt sont des
oligoéléments nécessaires à des concentrations très faibles.
Dans l'organisme, le fer est lié à la transferrine ou à la lactoferrine et il
n'est pas directement disponible pour les bactéries. Aussi, pour assurer leur
multiplication, les bactéries pathogènes ont développé des mécanismes leur
permettant de capter le fer chélaté à la transferrine et à la lactoferrine.
Facteurs de croissance
En présence d'eau, d'une source d'énergie, d'une source de carbone, d'une source azote et d'éléments minéraux, de nombreuses bactéries sont capables de croître et elles sont qualifiées de prototrophes. Les bactéries auxotrophes nécessitent, en plus, un ou plusieurs facteurs de croissance qu'elles sont incapables de synthétiser.
Un facteur de croissance ne doit
pas être confondu avec un métabolite essentiel. Les facteurs de croissance et
les métabolites essentiels sont des composés organiques strictement nécessaires
à la nutrition. Toutefois, un métabolite essentiel peut être synthétisé par
une bactérie alors qu'un facteur de croissance doit être présent dans
l'environnement car la bactérie est incapable de le synthétiser. Dans un
milieu contenant du glucose, une source d'azote et des sels minéraux une bactérie
telle que Escherichia coli est capable de se multiplier alors que
ce n'est pas le cas pour Proteus vulgaris. La croissance de Proteus
vulgaris exige l'adjonction supplémentaire de nicotinamide. La
nicotinamide est indispensable pour la croissance de ces deux espèces, mais
contrairement à Proteus vulgaris, Escherichia coli
est capable d'en assurer la synthèse. La nicotinamide est un métabolite
essentiel pour ces deux espèces, mais elle n'est un facteur de croissance que
pour Proteus vulgaris.
La notion de facteur de croissance est relative à un genre, à une espèce
voire même à une souche.
Les facteurs de croissance sont
des bases puriques ou pyrimidiques, des acides gras, des acides aminés, des
vitamines (coenzymes, précurseurs de coenzymes, groupements prosthétiques de
diverses enzymes) ou diverses composés comme l'hème et ses dérivés.
L'exigence d'une souche pour le facteur X (protoporphyrine) et pour le facteur V
(nicotinamide adénine dinucléotide ou nicotinamide adénine dinucléotide
phosphate) est un temps essentiel de l'identification des espèces du genre Haemophilus.
Par exemple, Haemophilus felis et Haemophilus parasuis
exigent la présence de facteur V, Haemophilus haemoglobinophilus
exige le facteur X et Haemophilus influenzae exige à la fois le
facteur X et le facteur V. Dans le sang frais, le NAD est souvent
intracellulaire et le sang frais contient des inhibiteurs du NAD. Aussi, les
meilleurs milieux d'isolement pour les espèces exigeantes en facteur V sont des
géloses au sang cuit ("gélose chocolat"), des géloses enrichies en
extraits globulaires ou des géloses complémentées en NAD ou en NADP.
Les besoins quantitatifs en facteurs de croissance sont de l'ordre de 10 µg/mL pour les bases puriques ou pyrimidiques, les acides gras ou les acides aminés et de l'ordre de moins de 1 µg/mL pour les vitamines. En ce qui concerne le facteur X, selon les espèces et les souches, les exigences des Haemophilus spp. varient de 0,1 à 200 µg/mL et les exigences en facteur V sont comprises entre 0,2 et 25 µg/mL.
La croissance d'une bactérie auxotrophe peut être proportionnelle, dans certaines limites, à la concentration d'un facteur de croissance ce qui permet un dosage des facteurs de croissance par voie microbiologique. Un exemple classique est le dosage microbiologique de la vitamine B12 en utilisant une souche de Lactobacillus leichmannii ou la souche Escherichia coli 113, auxotrophes pour la vitamine B12.
Un anti-métabolite est un analogue structural d'un facteur de croissance, capable d'entrer en compétition avec ce dernier et d'inhiber la croissance d'une souche auxotrophe. Ainsi, le para-aminobenzène sulfanylamide (ou PAS) est une molécule proche de l'acide para-aminobenzoïque (ou PAB) et il peut jouer le rôle d'un anti-métabolite empêchant la croissance des bactéries auxotrophes pour le PAB.
Les besoins en facteur de
croissance peuvent parfois être satisfaits par la présence d'une autre bactérie.
Ce mécanisme d'interaction métabolique, qualifié de syntrophie, se traduit
sur un milieu solide par la présence de colonies satellites (bactérie
auxotrophe) se développant au voisinage de la bactérie productrice du facteur
de croissance.
Le besoin en facteur V des Haemophilus spp. peut s'étudier en utilisant
une gélose dans laquelle on introduit, avant autoclavage, 5 à 10 p. cent de
sang. Après autoclavage, le facteur X (thermostable) reste présent alors que
le facteur V est détruit. Le facteur V sera alors apporté par une souche de
staphylocoques ou d'entérocoques ensemencée selon une strie. La croissance des
souches exigeantes en facteur V ne sera alors observée qu'à proximité de la
culture de staphylocoques ou d'entérocoques (voir figure
1).
Les différents types nutritionnels ou trophiques
Les différents types trophiques sont résumés dans le tableau ci-dessous.
Classe du besoin |
Nature du besoin |
Type trophique |
Source d'énergie | Rayonnement lumineux | Phototrophe |
Oxydation de composés organiques ou inorganiques | Chimiotrophe | |
Donneur d'électrons | Minéral | Lithotrophe |
Organique | Organotrophe | |
Source de carbone | Composé minéral | Autotrophe |
Composé organique | Hétérotrophe | |
Facteurs de croissance | Non nécessaires | Prototrophe |
Nécessaires | Auxotrophe |
Les bactéries d'intérêt vétérinaire sont principalement des bactéries chimio-organotrophes. Elles sont généralement hétérotrophes et elles peuvent être prototrophes ou auxotrophes.
Les bactéries appartenant à la classe des Chlamydiae et à l'ordre des Rickettsiales tirent leur énergie de la cellules qu'elles parasitent et elles sont qualifiées de paratrophes.
Croissance
Le cycle cellulaire bactérien
Les synthèses permettent aux bactéries de croître en taille et en volume jusqu'à une dimension limite qui conduit généralement à la division cellulaire par scission binaire. Le cycle cellulaire a été particulièrement bien étudié chez Escherichia coli (figure 2).
Dans une culture de Escherichia coli, les cellules bactériennes n'ont pas le même âge et si toutes les cellules ont un diamètre constant il n'en va pas de même pour leur longueur. Les cellules jeunes sont courtes alors que les cellules âgées sont plus longues. En fait, la longueur (et donc le volume) d'une cellule augmente jusqu'à atteindre une valeur critique déclenchant le division. Cette longueur critique, égale à deux fois la longueur d'une cellule nouvellement formée, est appelée la longueur cellulaire unitaire (Lµ). Chez Escherichia coli, Lµ est d'environ 1,6 µm.
Un cycle cellulaire bactérien se
décompose en trois étapes : l'initiation (B), la réplication de l'ADN
chromosomique (C) et la division cellulaire (D). Ces trois étapes se succèdent
au cours du cycle : C ne débute qu'à la fin de la période B et D ne débute
que lorsque la réplication de l'ADN chromosomique est terminée.
Durant la période B, on assiste à la synthèse d'ARNm et de protéines nécessaires
à l’initiation de la réplication du chromosome.
Pendant la période C, l’ADN chromosomique se réplique et, à la fin de cette
période, les deux copies du chromosome bactérien migrent chacune, selon un mécanisme
actif, vers une des deux futures cellules filles (équipartition).
Lorsque le chromosome bactérien s’est entièrement répliqué, l’initiation
de la septation est déclenchée. La formation du septum est sous la dépendance
d'au moins quatre gènes. Une fois le septum formé, le produit d'un cinquième
gène conduit à l'hydrolyse de la double couche de peptidoglycane, puis la
membrane externe s’invagine à son tour. Sous l'action d'un nouveau gène, la
division sensu stricto a lieu et les cellules filles se séparent.
La durée des étapes C et D ne varie pas avec le taux de croissance. Chez Escherichia coli, C dure environ 40 minutes et D dure environ 20 minutes. En revanche, l'étape d'initiation a une durée variable selon les conditions de culture et elle devient de plus en plus courte quand le temps de génération décroît. Quand le temps nécessaire au doublement du nombre de cellules (G) est égal à 60 minutes, la période B est égale à zéro et lorsque G est inférieur à 60 minutes, la période B prend une valeur négative ce qui revient à dire que la réplication du chromosome bactérien débute avant même que ne soit terminée la réplication du cycle précédent. Plusieurs fourches de réplication de l’ADN chromosomique sont alors présentes dans la cellule bactérienne.
Chez les bactéries à Gram
positif, dont la paroi est riche en peptidoglycane, la séparation complète des
bactéries filles est sous la dépendance de la concentration en autolysines.
Lorsque la culture ne comprend qu'un faible nombre de cellules, les quantités
d'autolysines sont faibles et les bactéries filles ne se séparent pas complètement
ce qui conduit à la formation de chaînes de cellules. Par contre, lorsque la
culture est riche en cellules (notamment au sein d'une colonie), les
concentration en autolysines sont fortes, elles agissent sur le peptidoglycane
et les cellules filles se séparent complètement. C'est la raison pour laquelle
le mode de groupement des bactéries doit s'apprécier sur une culture jeune en
milieu liquide et non à partir d'une colonie.
Les espèces des genres Streptococcus, Enterococcus et Lactococcus
donnent naissance à des chaînes de coques plus ou moins longues car les
cellules se divisent selon un plan équatorial. Les bacilles à Gram positif
peuvent donner des chaînes (Bacillus spp.) ou rester grouper par deux en
réalisant des formes en V ou en L (Listeria spp.) ou former des
groupements rappelant des idéogrammes chinois (Corynebacterium spp.).
Des formes en tétrades ou en amas réguliers apparaissent lorsque les bactéries
se divisent en même temps selon le même plan équatorial : deux plans
pour les tétrades (Aerococcus spp., Tetrasphaera spp., Tetragenococcus
spp.), trois plans pour les amas cubiques (Sarcina spp.). Des amas irréguliers
sont observés lorsque les bactéries se divisent de manière anarchique (Staphylococcus
spp., Macrococcus spp., Micrococcus spp.).
Au sein de la classe des Actinobacteria
les bactéries se multiplient exclusivement, préférentiellement, ou
occasionnellement, selon un mode qui se rapproche de celui des champignons. Ces
bactéries forment des filaments ramifiés ou hyphes dont l'ensemble constitue
le mycélium.
Le genre le plus représentatif de cette classe est le genre Streptomyces
dont le cycle cellulaire peut être résumé de la manière suivante. La cellule
bactérienne initiale (ou conidie ou arthrospore) donne naissance à un tube
germinatif qui se différencie en un mycélium rampant en surface ou pénétrant
dans le substrat. Après une période de croissance, le mycélium se développe
verticalement. Ces hyphes aériens vont développer des torsades, tel un
tire-bouchon. Leurs parties terminales, après une série de réplications et de
migrations du chromosome bactérien, se cloisonnent (formation de septums) et
forme autant de jeunes cellules bactériennes que l'on appelle des conidies ou
arthrospores par analogie avec les spores fongiques. Après maturation, les
hyphes aériens se rompent et libèrent les conidies qui seront à l'origine
d'un nouveau cycle. Les arthrospores du genre Dermatophilus possèdent
aussi la propriété d’être mobiles
La structure mycélienne typique du genre Streptomyces est plus
rudimentaire pour les Actinomyces spp. et surtout pour les Mycobacterium
spp. qui ne forment jamais d'hyphes aériens.
Moyens d'étude de la croissance
Les techniques permettant l'étude de la croissance sont nombreuses ce qui montre qu'aucune n'est parfaite. Sur un milieu solide, l'étude de la croissance est rendue difficile en raison notamment de l'agrégation des cellules les unes aux autres. En milieu liquide, les cellules sont dispersées (ou si elles sont agrégées, il est possible de les disperser par agitation) ce qui permet des prises d'échantillons. La croissance peut alors être appréciée en se basant sur le nombre de cellules ou sur la masse bactérienne.
Mesure du nombre de cellules
Une numération totale des cellules peut être effectuée au microscope en utilisant des compartiments volumétriques (type hématimètres) ou au moyen de compteurs de particules. Ces deux techniques posent plusieurs problèmes et, notamment, elles ne permettent pas de distinguer facilement les cellules vivantes des cellules mortes.
La technique d'épifluorescence permet en théorie de distinguer les cellules vivantes des cellules mortes. Elle utilise l'acridine orange ou d'autres fluorochromes qui se fixent sur l'ADN. Examinée en lumière ultraviolette, la fixation de l'acridine orange sur un ADN bicaténaire donne une fluorescence verte alors que sa fixation sur un ADN monocaténaire donne une fluorescence rouge. Au microscope à lumière ultraviolette, les bactéries au repos apparaissent vertes alors que les bactéries mortes, mais également les bactéries en multiplication (ouverture de la double chaîne d'ADN lors de sa réplication), apparaissent rouges.
La numération des cellules viables après culture est une technique de référence et d'usage courant (figure 3). Un volume fixe d'une suspension bactérienne parfaitement homogène et de ses dilutions est étalé sur un milieu gélosé ou incorporé à un milieu gélosé en surfusion. Dans ces conditions, seules les cellules viables donnent une colonie. Après incubation réalisée dans des conditions convenables, on compte les colonies bactériennes apparues sur ou dans le milieu de culture. L'analyse est réalisée en triple exemplaires et le comptage est effectuée sur les boîtes renfermant entre 30 et 300 colonies. On ne peut cependant pas être sûr qu'une colonie résulte du développement d'une seule bactérie. En effet, les amas ou les agglomérats bactériens donnent une seule colonie et plusieurs bactéries déposées par hasard à proximité les unes des autres peuvent également donner naissance à une seule colonie. Aussi, les résultats ne sont pas donnés en nombre de cellules mais en unités formant colonies (UFC ou CFU pour colony forming unit).
D'autres techniques de numération,
plus simples à mettre en œuvre, sont également
utilisées.
. Les systèmes d'ensemencement en
spirale font appel à un ensemenceur semi-automatique qui dépose un volume
calibré d'un échantillon liquide à la surface d'une gélose placée sur un
plateau tournant, en décrivant une spirale d'Archimède. Après incubation, la
lecture se fait grâce à des abaques. Cette technique permet de réaliser le dénombrement
bactérien d'un échantillon sur une seule et même boîte en supprimant toutes
ou partie des dilutions intermédiaires. Cette méthodologie est très utilisée
en bactériologie alimentaire et c'est une technique officiellement acceptée.
. Les techniques des lames immergées
font appel à une lame en plastique recouverte de milieux gélosés.
L'ensemencement est réalisé en plongeant le dispositif dans la suspension bactérienne
ou le liquide biologique à examiner. Après incubation, la lecture s'effectue
en appréciant la densité des colonies qui est comparée à des abaques
fournies par le fabricant. La technique des lames immergées est très utilisée
pour la numération des germes contenus dans des échantillons d'urine.
. Les boîtes-contact contiennent
un milieu gélosé surélevé. La gélose est appliquée sur des surfaces afin
d'évaluer leur contamination. Ces dispositifs sont d'une utilisation courante
dans les hôpitaux et les industries.
. La technique des Pétrifilm®
fait appel à un double film enduit de nutriments déshydratés, d'un agent gélifiant
et d'un indicateur de pH ou de potentiel redox. La suspension bactérienne est déposée
entre les deux films et le système est mis à incuber. La lecture consiste à
compter les colonies dont l'aspect est variable selon le système utilisé. Pour
plus d'informations, voir le site du fabricant : Les
tests 3M™ Petrifilm™.
Mesure de la biomasse
De très nombreuses techniques permettent de mesurer la biomasse : détermination du poids sec, mesure de la densité optique, mesure d'un ou de plusieurs constituants cellulaires, mesure de la consommation d'un substrat, mesure des produits d'excrétion, mesure des variations physico-chimiques induites par la croissance, etc.
La mesure de la densité optique est la technique la plus simple, la plus rapide et la plus utilisée. Elle consiste à mesurer la lumière absorbée par une suspension bactérienne à l'aide d'un spectrophotomètre réglé à une longueur d'onde de 650 nm (longueur d'onde pour laquelle l'absorption de la lumière par les constituants cellulaires est la plus faible). Dans des conditions techniques précises, l'absorbance est proportionnelle à la concentration cellulaire. La turbidité étant inversement proportionnelle à la surface de la particule, pour que la turbidité soit une mesure précise de la masse bactérienne, il faut que la surface cellulaire moyenne reste constante au cours de la mesure. Cette situation ne se produit qu'au cours de la phase active de croissance (phase exponentielle, Cf. infra) et toute mesure effectuée sur des cellules au repos est erronée. La mesure de la densité optique a une sensibilité modérée (il faut au moins 107 bactéries par mL pour pouvoir mesurer une densité optique), elle est inutilisable avec des milieux très colorés et elle est incapable de différencier les cellules vivantes des cellules mortes.
Les constantes de la croissance
A partir d'une unique cellule, le cycle cellulaire donne naissance à deux cellules filles qui vont chacune donner à leur tour deux autres cellules et ainsi de suite, selon une progression géométrique : 1 cellule ---> 2 cellules ---> 4 cellules ---> 8 cellules ---> 16 cellules ---> 32 cellules ...
Le temps nécessaire au doublement du nombre de cellules ou temps de génération dépend de l'espèce, voire même de la souche et des conditions environnementales. Dans les conditions optimales de culture, le temps de génération ou G est de 13 minutes pour Vibrio parahaemolyticus, de 20 minutes pour Escherichia coli, de 100 minutes pour Lactobacillus acidophilus et de 1000 minutes pour Mycobacterium tuberculosis.
Le nombre de divisions par unité de temps est égal à l'inverse du nombre de génération (1/G). Pour les exemples donnés ci-dessus il est de 4,6 par heure pour Vibrio parahaemolyticus, de 3 par heure pour Escherichia coli, de 0,6 par heure pour Lactobacillus acidophilus et de 0,06 par heure pour Mycobacterium tuberculosis.
Courbe de croissance en milieu non renouvelé
Dans une population bactérienne, toutes les cellules ne se divisent pas de manière synchrone et la croissance s'effectue de façon continue. Dans un milieu non renouvelé, la croissance des bactéries est limitée par l'épuisement du milieu en nutriments. La cinétique de la croissance peut être établie expérimentalement en mesurant les variations de la masse bactérienne (m) en fonction du temps (t) (voir figure 4). La vitesse de croissance dm/dt ou accroissement de masse par unité de temps est proportionnelle à la masse bactérienne présente au temps t. Le coefficient de proportionnalité, désigné par µ, est nommé taux de croissance.
Sur la courbe de croissance six phases peuvent être définies : phase de latence, phase d'accélération, phase de croissance exponentielle, phase de décélération, phase stationnaire et phase de déclin (voir figure 4).
.
La phase de latence, durant laquelle la masse reste identique à la masse bactérienne
initiale, se caractérise par une valeur de µ égale à zéro. La durée de la
phase de latence est très variable et elle dépend à la fois de la nature du
milieu ainsi que de la nature et de la taille de l'inoculum bactérien.
Un inoculum bactérien prélevé en phase exponentielle de croissance et
ensemencé dans un milieu neuf identique se multiplie sans aucune phase de
latence. En revanche, si le même inoculum est placé dans un milieu différent
on observe une phase de latence liée à l'adaptation des bactéries aux
nouveaux substrats (période d'adaptation enzymatique durant laquelle les bactéries
synthétisent de nouvelles enzymes leur permettant d'utiliser de nouveaux
nutriments).
L'ensemencement d'un inoculum important réduit la durée de la phase de latence
par des mécanismes mal connus. On peut supposer qu'un grand nombre de bactéries
est apte à neutraliser rapidement un effet toxique du milieu. On peut également
expliquer ce phénomène par un simple problème technique de détection de la
biomasse qui est plus facile si l'inoculum est déjà important.
L'âge des bactéries a une influence sur la durée de la latence qui peut être
très courte lorsque des cellules jeunes sont introduites dans un milieu neuf.
En effet, un inoculum âgé peut contenir de nombreuses cellules mortes et les
quelques cellules viables devront se diviser de nombreuses fois avant de donner
une masse mesurable. De plus, dans un inoculum âgé, les bactéries sont dans
un état physiologique peu favorable et il leur faut du temps pour restaurer
leurs systèmes enzymatiques mis au repos.
. La phase d'accélération se caractérise par une augmentation de plus en plus rapide de la masse. Le taux de croissance devient supérieur à zéro et il augmente progressivement.
. La phase de croissance exponentielle ne dure que quelques heures. Durant cette phase, la masse augmente de façon exponentielle et µ atteint une valeur maximale et constante. Les bactéries se multiplient sans entrave et elles libèrent des métabolites pouvant avoir un intérêt industriel comme des antibiotiques ou des toxines. La pente de la droite permet de mesurer la valeur µ' qui est égale à µ X 0,4343. La valeur de µ' dépend des conditions d'environnement comme la température, le pH, la nature et le concentration des nutriments.
. Au cours de la phase de décélération, l'augmentation de la masse bactérienne ralentit et µ diminue progressivement.
. La phase stationnaire peut durer de quelques heures à quelques jours. La masse bactérienne est maximale et constante et µ est égal à zéro. Les bactéries peuvent continuer à se diviser mais le taux de division est alors égal au taux de mortalité. Cette phase résulte d'un épuisement du milieu et de l'accumulation de déchets toxiques. Durant cette phase les bactéries en ayant la capacité peuvent sporuler.
. Au cours de la phase de déclin, les bactéries ne se divisent plus, beaucoup d'entre elles meurent et sont détruites par des autolysines. Dans quelques cas, les bactéries survivantes peuvent amorcer une nouvelle phase de multiplication en utilisant les substances libérées par la lyse des cellules. On parle alors de croissance cryptique.
Phénomène de diauxie
Le phénomène de diauxie, mis en évidence par Monod, se traduit par une courbe de croissance diphasique. Il est observé dans des milieux synthétiques contenant au moins deux sources de carbone et il est lié à un mécanisme de répression catabolique. Par exemple, dans un milieu contenant du glucose et du lactose, certaines espèces vont dans un premier temps utiliser le glucose grâce à des enzymes constitutives. La dégradation du lactose est sous la dépendance d'enzymes inductibles dont l'induction est réprimée en présence de glucose. Lorsque le glucose sera épuisé, les bactéries utiliseront le lactose et donneront une nouvelle phase de croissance exponentielle après un temps de latence intermédiaire.
Cultures continues
Dans un milieu non renouvelé, la phase exponentielle de croissance ne peut durer que quelques heures. Dans un but industriel, il peut être nécessaire de prolonger cette phase en renouvelant constamment le milieu de culture et en éliminant les produits du métabolisme. Les croissances continues sont obtenues à l'aide de turbidostat, de chémostats, de fermenteurs en continu multi-étages ou d'autres dispositifs industriels.
Croissance en milieu solide
La croissance sur la surface d'un milieu solide se traduit soit par une nappe confluente lorsque les bactéries sont déposées en grand nombre soit par l'apparition de colonies lorsque les cellules sont déposées de manière isolée.
Lors de la
formation d'une colonie, la croissance conduit d'abord à l'apparition
d'une couche monocellulaire et la structure de la microcolonie est
bidimensionnelle. La prolifération des bactéries de la périphérie conduit à
une extension radiale de la colonie alors que la prolifération des bactéries
situées au centre de la colonie est à l'origine de la structure
tridimensionnelle due à la poussée vers le haut des cellules résultant de la
division bactérienne.
La vitesse de croissance radiale dépend de l’espèce, de la souche et de la
richesse du milieu. Sur milieu pauvre, les colonies de Escherichia coli
et de Klebsiella pneumoniae croissent de 20 à 25 µm/h lorsque la température
est comprise entre 20 et 37 °C. Sur un milieu riche, les colonies de Enterococcus
faecalis croissent de 18 à 23 µm/h et celles de Bacillus cereus de
575 µm/h. La hauteur de la colonie est également fonction de l'espèce. Chez Escherichia
coli la hauteur augmente durant une quarantaine d'heures puis elle cesse
de s'accroître.
Le développement des colonies a
des conséquences en ce qui concerne l'accès des bactéries à l'oxygène et
aux nutriments. L'oxygène pénètre difficilement dans une colonie bien développée
et sa concentration au centre de la colonie peut être faible. Les nutriments
diffusent vers le haut à partir de la gélose pour créer un gradient de
concentration inverse à celui de l'oxygène.
Pour une bactérie aérobie, toutes les cellules sont en croissance et en
multiplication dans une colonie jeune, alors que dans une colonie âgée seules
les cellules proches de la surface continuent à se multiplier. En effet,
l'absence d'oxygène au centre de la colonie inhibe la multiplication des bactéries
qui s'y trouvent.
Pour une espèce aéro-anaérobie, l'oxygène a peu d'influence sur la
multiplication et, quel que soit l'âge des colonies, les cellules les plus
actives sont celles en contact avec la gélose, zone où la concentration en
substrat est la plus élevée.
L'aspect des colonies est un critère important de l'identification d'une bactérie. Les colonies se caractérisent par leur vitesse d'apparition, leur taille, leur aspect (colonies lisses ou S pour smooth, colonies rugueuses ou R pour rough, colonies muqueuses ou M, colonies brillantes ou mates, colonies à bord régulier ou irrégulier, colonies plates ou surélevées ou ayant un aspect en œuf sur la plat, colonies pigmentées ou non pigmentées, etc.), leur odeur (odeur de seringa pour Pseudomonas aeruginosa, odeur de terre mouillée pour Burkholderia pseusomallei, etc.), leur texture, leur caractère hémolytique sur une gélose au sang, leur adhérence ou non à la gélose, etc.
Les bactéries viables mais non cultivables (VNC ou VBNC pour viable but nonculturable)
En dépit de l'existence de très nombreux milieux de culture, seule une infime proportion de bactéries peuvent être cultivées in vitro. On estime que les pourcentages de bactéries cultivables sont de 0,25 pour les espèces vivant en eau douce, de 0,3 pour les bactéries du sol et 0,1 à 1 pour les espèces colonisant l'homme ou les animaux. Actuellement de nombreuses bactéries ne sont connues que par les séquences de leurs ARNr 16S. La catégorie Candidatus a été proposée en 1994 pour accueillir des bactéries non cultivables mais pour lesquelles on dispose, outre la séquence de leurs ARNr, d'informations concernant leur habitat, leur structure, leur métabolisme etc.
Plusieurs études montrent que
des bactéries à Gram négatif ou à Gram positif, telles que Vibrio cholerae,
Vibrio vulnificus, Mycobacterium tuberculosis, Campylobacter
jejuni, Helicobacter pylori ou Escherichia coli,
ont la possibilité d'entrer dans un état viable mais non cultivable. Les bactéries
restent vivantes, elles ont une activité métabolique réduite, leur taille est
souvent réduite, elles ont souvent une forme ovoïde, elles présentent des
modifications structurales de leur membrane cytoplasmique, elles synthétisent
de nouvelles protéines et elles sont incapables de croître in vitro.
L'état viable mais non cultivable serait génétiquement programmé et
permettrait à une bactérie de survivre dans des conditions qui lui sont
hostiles. L'état VNC présente une importance majeure en clinique car les bactéries
viables mais non cultivables sont capables de retrouver leur virulence après
infection de l'homme ou de l'animal.
Des bactéries VNC pourraient être responsables d'infections ou responsables de
la résurgence d'infections observées chez des individus considérés comme guéris
depuis plusieurs années. Ainsi, les otites moyennes chroniques résistantes aux
antibiotiques ne semblent pas dues à une réponse inflammatoire comme on l'a
longtemps cru mais elles seraient dues à la présence de VNC résistantes aux
antibiotiques. Des cas de tuberculose observés chez des individus guéris
seraient dus à une "résurrection" de mycobactéries VNC.
Les biofilms
Dans leur habitat naturel, les bactéries vivent le plus souvent attachés à des supports et leur mode vie est sessile (par opposition au mode de vie planctonique ou vie à l'état libre observée dans des milieux liquides). Les bactéries sessiles forment des colonies qui se recouvrent de polymères organiques et qui tendent à s'associer en communauté. Elles forment alors des biofilms que l'on retrouve dans les canalisations, à la surface des roches immergées d'une rivière, à la surface des muqueuses, sur les dents (plaque dentaire), sur les prothèses, sur divers matériels médicaux (cathéter, valve cardiaque), etc. Au sein des biofilms, les bactéries sont soumises à des phases d'abondance et de restriction nutritionnelles, mais elles sont protégées vis-à-vis des facteurs environnementaux défavorables (dessiccation, parasitisme par les bactériophages ou les Bdellovibrio spp., présence d'antibiotiques, présence d'antiseptiques ou de désinfectants).
Facteurs physico-chimiques intervenant dans la croissance bactérienne
L'utilisation des nutriments par les bactéries dépend des conditions d'environnement susceptibles d'inhiber ou de favoriser le développement bactérien.
Température
La température influence la
multiplication et le métabolisme. Selon leur température optimale de
croissance, on distingue schématiquement diverses catégories de bactéries.
. Les bactéries mésophiles
préfèrent une température moyenne comprise entre 20 et 40 °C.
. Les psychrotrophes ont
une température optimale de multiplication de 20 à 25 °C, mais elles peuvent
également cultiver à 0 °C.
. Les bactéries
psychrophiles ont une température optimale de croissance située aux environs
de 10 °C, mais elles peuvent cultiver à 0 °C.
. Les cryophiles peuvent
se développer à des températures négatives. Par exemple, Trichococcus
patagoniensis, isolé en Patagonie des fèces de pingouins, cultive à -
5 °C.
. Les thermotrophes se développent
à 50 °C, mais leur température optimale de croissance est comprise entre 30
et 40 °C.
. Les thermophiles se
multiplient préférentiellement entre 45 et 55 °C.
. Les hyperthermophiles
ont une température optimale de croissance supérieure ou égale à 70 °C. Methanothermus
sociabilis cultive à 97 °C, Pyrobaculum islandicum
cultive à 100 °C, Pyrococcus furiosus a une température
optimale de croissance de 100 °C, Pyrodictium occultum a une température
optimale de croissance de 105 °C, Methanopyrus kandleri cultive
à 110 °C et le record semble être détenu par Pyrolobus fumarii
apte à se multiplier à 113 °C.
Les bactéries constituant les flores bactériennes des mammifères ainsi que les bactéries pathogènes pour les mammifères et les oiseaux sont des bactéries mésophiles. Les bactéries psychrotrophes et psychrophiles jouent un rôle important car elles peuvent contaminer et altérer des produits biologiques (sang et dérivés du sang) ainsi que des aliments conservés à basse température.
pH
La majorité des bactéries se multiplient préférentiellement à des pH voisins de la neutralité (6,5 à 7,5), mais elles sont capables de croître dans une large gamme de pH. Par exemple, Escherichia coli peut se multiplier pour des pH compris entre 4,4 et 9,0.
Certaines bactéries qualifiées
de acidophiles préfèrent un pH acide. C'est le cas des lactobacilles dont le
pH optimal est de 6. Parmi les bactéries n'ayant pas d'intérêt en biologie vétérinaire,
on peut citer Thermoplasma acidophilum dont le pH optimal est
compris entre 0,8 et 3 et Thiobacillus thiooxidans dont le pH
optimal de croissance est de 2 et qui peut se multiplier à un pH de 0.
Inversement, les bactéries basophiles (ou alcalophiles) préfèrent des pH
alcalins. Ainsi, le pH optimal est de 9 pour la multiplication de Vibrio cholerae,
il est compris entre 8,5 et 9,5 pour Exiguobacterium aurantiacum
et Alkaliphilus transvaalensis est capable de croître à un pH de
12,5.
Au cours des cultures, le métabolisme bactérien engendre des composés acides ou basiques qui seraient susceptibles d'entraver la multiplication bactérienne. Pour éviter ces variations de pH, les milieux de culture sont tamponnés, le plus souvent en utilisant des tampons phosphates.
Pression
Les bactéries barophiles (du grec baros, poids, pesanteur) ou piézophiles (du grec piezein, presser) se caractérisent par le fait que leur croissance est favorisée par une incubation dans une atmosphère dont la pression est supérieure à la pression atmosphérique.
La plupart des bactéries barophiles actuellement caractérisées appartiennent à la classe des Gammaproteobacteria et elles se recrutent principalement au sein des genres Colwellia (Colwellia hadaliensis), Moritella (Moritella abyssi, Moritella japonica, Moritella profunda et Moritella yayanosii), Photobacterium (Photobacterium profundum), Psychromonas (Psychromonas kaikoae, Psychromonas profunda) et Shewanella (Shewanella benthica et Shewanella violacea). Parmi ces espèces, Colwellia hadaliensis, Moritella yayanosii et Psychromonas kaikoae sont strictement barophiles et leur culture doit obligatoirement être réalisée avec une pression supérieure à la pression atmosphérique.
Des bactéries barophiles, n'appartenant pas à la classe des Proteobacteria ont toutefois été caractérisées. C'est le cas par exemple de Thermococcus barophilus et de Marinitoga piezophila.
Pression osmotique
Les bactéries, à l'exception des Mycoplasmatales, sont peu sensibles aux variations de pression osmotique car elles sont protégées par leur paroi. Toutefois, certaines espèces marines sont adaptées à des milieux contenant environ 35 g de NaCl par litre.
Selon leur sensibilité à la
pression osmotique, on distingue trois groupes de bactéries.
. Les bactéries
non-halophiles capables de croître dans des milieux dont la concentration en
NaCl est inférieure à 0,2 M.
. Les espèces halophiles
ne pouvant croître que dans des milieux contenant des concentrations en NaCl
supérieures à 0,2 M pour les moins halophiles (Cobetia marina)
à 5,2 M pour les plus halophiles (Halococcus morrhuae, Halobacterium
salinarum, Halorubrum sodomense).
. Les espèces halotolérantes
comme les Staphylococcus spp., les Listeria spp. ou les Lactobacillus
spp.
La conservation des aliments comme les salaisons ou les confitures fait appel à une augmentation de la pression osmotique. Ces procédés ancestraux de conservation ont recours à l'addition de sel ou de sucre qui limitent la croissance de nombreuses bactéries. Seules les bactéries osmophiles se multiplient en présence de fortes concentrations de sucre et seules les bactéries halophiles se multiplient en présence de fortes concentrations de sel.
Oxygène
C'est vis-à-vis de l'oxygène que les exigences gazeuses des bactéries sont précises.
.
Lors de leur métabolisme énergétique certaines bactéries utilisent l'oxygène
moléculaire comme accepteur final d'électrons. Ces bactéries ont
obligatoirement besoin d'oxygène libre et elles sont qualifiées d'aérobies.
. Au contraire, les bactéries
anaérobies ne peuvent se multiplier et survivre qu'en l'absence d'oxygène. Ce
sont des bactéries qui ne possèdent ni catalase ni peroxydase ni superoxyde
dismutase et qui sont donc incapables de détoxifier les composés formés lors
de réactions d'oxydation (comme l'eau oxygénée ou l'ion superoxyde).
. Les bactéries aéro-anaérobies
peuvent croître aussi bien en présence qu'en absence d'oxygène.
. Les bactéries anaérobies-aérotolérantes
tolèrent l'oxygène mais leur croissance est meilleure en anaérobiose.
. Les bactéries micro-aérophiles
ont besoin d'oxygène, mais elles ne supportent pas une tension en oxygène équivalente
à celle de l'air et elles ne peuvent se multiplier qu'en présence d'une faible
tension d'oxygène.
La mise en évidence du type respiratoire est schématisée dans la figure 5.
La culture des bactéries aérobies ou aéro-anaérobies ou anaérobies-aérotolérantes ne présente pas de difficultés particulières car l'incubation peut être réalisée dans l'atmosphère ambiante. En revanche la culture des bactéries anaérobies et micro-aérophiles nécessitent une incubation dans une atmosphère dépourvue d'oxygène (bactéries anaérobies) ou appauvrie en oxygène (bactéries micro-aérophiles).
L'utilisation de chambres anaérobies
est réservée à des laboratoires spécialisés. Un laboratoire de diagnostic
non spécialisé, fera généralement appel à l'utilisation de jarres anaérobies
qui sont des récipients en polycarbonate ou en alliage métallique pouvant
contenir 10 à 30 boîtes de Pétri. Selon le type de jarre, deux grandes
modalités d'utilisation sont possibles.
La première, appelée la technique d'évacuation-remplacement, consiste à
faire le vide dans la jarre puis à la remplir avec un mélange gazeux dépourvu
d'oxygène et contenant du dioxyde de carbone souvent nécessaire à la
croissance des anaérobies. Par exemple, on utilisera un mélange à trois gaz :
H2: CO2: N2: = 5:15:80 (ou 5:5:90). L'opération
sera répétée trois fois ce qui permet d'obtenir rapidement une anaérobiose
de bonne qualité.
La deuxième modalité, de mise en œuvre
plus facile, consiste à utiliser des systèmes générateurs de gaz
commercialisés. On place dans une jarre les boîtes de Pétri, un catalyseur
ainsi qu'un sachet contenant un mélange de bicarbonate de sodium, d'acide
tartrique et d'hydrure de carbone. Au moment de l'emploi le sachet est ouvert et
additionné d'eau et la jarre est fermée le plus rapidement possible. Il se
produit un dégagement de CO2 et d'H2 qui élimine l'oxygène
en présence d'un catalyseur. L'inconvénient du système tient au temps nécessaire
à l'obtention de l'anaérobiose et une concentration en oxygène inférieure à
0,2 p. cent n'est obtenu que 210 minutes après la fermeture de la jarre.
Les milieux utilisés pour la culture des bactéries anaérobies sont soit des
milieux pré-réduits soit des milieux fraîchement préparés (ou désaérés
par ébullition à 100 °C durant 20 minutes) et contenant un agent réducteur
tel que du thioglycolate de sodium, du glutathion, du chlorure de palladium,
etc.
Des systèmes comparables sont utilisés pour réaliser une atmosphère micro-aérophile. Dans la technique d'évacuation-remplacement on utilise le plus souvent un mélange de quatre gaz CO2: N2: O2: H2 = 5:88:5:2. On peut également utiliser des jarres avec des systèmes générateurs de gaz à condition d'enlever le catalyseur.
Milieux de culture
De très nombreux milieux de culture sont utilisés en bactériologie et ils peuvent être classés selon de nombreux critères, mais toutes les classifications se recoupent. Seules les classifications basées sur la consistance, sur la composition et sur l'utilisation seront brièvement envisagées ci-dessous.
Classification selon la consistance
D'après leur consistance on distingue les milieux liquides ou bouillons et les milieux solides.
Les milieux solides ont permis un progrès décisif en bactériologie car ils permettent la croissance des bactéries en colonies isolées et donc leur séparation et leur purification. En 1881 Koch utilisa la gélatine pour solidifier les milieux. La gélatine présentait cependant deux inconvénients : elle fond aux alentours de 25 °C et elle est liquéfiée par de nombreuses bactéries. Ultérieurement Hesse proposa de remplacer la gélatine par la gélose ou agar-agar. La gélose, extraite d'algues, est un polyoside qui possède la propriété de fixer une grande quantité d'eau (jusqu'à 500 fois son poids). Elle est soluble dans l'eau à 100 °C et elle reste en surfusion jusqu'à 40 °C, température à laquelle elle se gélifie. Une fois gélifiée, il faudra la chauffer à nouveau à 100 °C pour obtenir sa liquéfaction. Cela signifie qu'au cours d'une incubation, généralement effectuée à des températures variant de 20 à 45 °C pour les bactéries d'intérêt vétérinaires, la gélose restera solide. Lorsque la gélose est en surfusion, par exemple aux alentours de 45 °C, on peut lui ajouter des produits biologiques comme du sang, du sérum ou du lait, sans que ces produits biologiques soient altérés par la chaleur. Enfin la gélose présente deux autres avantages : elle n'est que rarement attaquée par les bactéries d'intérêt vétérinaire et elle est transparente ce qui permet une observation aisée des colonies.
Classification selon la composition
Les milieux de culture doivent contenir quantitativement et qualitativement les nutriments exigés pour la croissance et l'entretien des bactéries. Leur pH est généralement compris entre 7 et 7,6, leur isotonie correspond généralement à une solution de NaCl à 9 p. 1000 et leur taux d'humidité doit être suffisant pour permettre la croissance de la grande majorité des bactéries.
Les milieux naturels ou
empiriques, très utilisés, sont préparés à partir de constituants d'origine
animale (macérations ou décoctions de tissus, peptones, œuf,
gélatine, lait, ...) ou d'origine végétale (pomme de terre, levure, soja,
...). Leur composition n'est pas parfaitement définie et, pour un même milieu,
elle peut varier d'un lot à un autre.
. Les macérations et les
décoctions sont obtenues en laissant séjourner dans l'eau des tissus tels que
du muscle, du foie ou de la cervelle. Au bout de quelques heures on récupère
une solution riche en sels minéraux, en vitamines hydrosolubles, en protéines
peu dégradées et en glucides. L'extraction aqueuse peut s'effectuer à froid
et on parle de macération ou s'effectuer à chaud (100 °C) et on parle de décoction.
Ces macérations et décoctions sont commercialisées sous le nom d'extraits de
viande.
. Les peptones occupent
une place très importante dans la préparation des milieux de culture. Ce sont
des mélanges de composés solubles dans l'eau et résultant de l'action
d'enzymes protéolytiques sur diverses protéines. Leur classification repose
sur la nature de l'enzyme protéolytique (peptones pepsiques, pancréatiques,
trypsiques, papaïniques, etc.) et sur l'origine des protéines (peptones de
viande, de caséine, de gélatine, de soja, etc.). Pour désigner une peptone il
faut donc indiquer le nom de l'enzyme et celui de la protéine. Par exemple, on
parlera de peptone pancréatique de viande, de peptone trypsique de cœur,
etc. La composition des peptones est très variable. Ainsi, les peptones
pepsiques contiennent des polypeptides complexes dépourvus d'acides aminés
libres et ce sont donc des produits très peu dégradés. Inversement les
peptones pancréatiques renferment des polypeptides simples avec une forte
proportion d'acides aminés libres.
Deux exemples de milieux naturels
sont donnés ci-dessous.
. Gélose nutritive : macération
de viande (1 litre), peptone trypsique (15 g), NaCl (5 g), agar-agar (15 à 20
g).
. Gélose trypticase-soja
: peptone trypsique de caséine (15 g/L), peptone papaïnique de soja (5 g/L),
NaCl (5 g/L), gélose (15 g/L).
Les milieux synthétiques ont une composition parfaitement définie. Ils sont constitués de corps purs chimiquement définis et dissous dans de l'eau distillée en proportions déterminées. C'est le cas par exemple du milieu urée-indole dont la composition est la suivante : L-tryptophane (0,3 g), KH2PO4 (0,1 g), K2HPO4 (0,1 g), NaCl (0,5 g), urée (2 g), alcool à 95 (1 mL), rouge de phénol à 1 p. cent (0,25 mL), eau distillée (100 mL).
Les milieux semi-synthétiques contiennent des substances chimiques pures en proportions déterminées et des produits d'origine naturelle. La plupart des milieux actuellement commercialisés sont des milieux semi-synthétiques. Par exemple, la gélose lactosée au bromocrésol pourpre (BCP) contient (en grammes par litre d'eau distillée) 5 g de peptone, 3 g d'extraits de viande, 10 g de lactose, 15 g d'agar-agar et 0,025 g de pourpre de bromocrésol.
Classification selon l'utilisation
La classification d'après l'utilisation permet de distinguer quatre grands types de milieux.
Les milieux usuels ou de base d'un emploi aussi général que possible. Il convient cependant de remarquer qu'aucun milieu n'est apte à assurer la croissance de toutes les bactéries.
Les milieux d'isolement qui
peuvent être des milieux usuels, des milieux enrichis (avec du sang, du sérum,
...), des milieux électifs ou d'enrichissement permettant la culture abondante
et rapide de certaines bactéries alors que la majorité des espèces s'y développent
lentement et des milieux sélectifs permettant la croissance d'une ou de
quelques espèces alors que la multiplication de la majorité des autres espèces
est entravée. Un effet sélectif est obtenu en jouant sur les facteurs
physico-chimiques (pH, pression osmotique) ou par l'utilisation d'agents bactériostatiques
ou bactéricides (colorants, antibiotiques).
Les milieux d'enrichissement et les milieux sélectifs sont actuellement très
nombreux et ils permettent d'isoler une ou quelques espèces bactériennes même
au sein d'une flore complexe.
Les milieux d'identification qui permettent la mise en évidence des caractères biochimiques des bactéries et de résoudre les problèmes d'identification différentielle.
Les milieux de conservation qui sont des milieux pauvres au sein desquels les bactéries survivent dans un état de vie ralentie.
Conclusion
L'étude de la nutrition et de la croissance bactérienne est riche d'applications :
Elle permet de définir les paramètres assurant une culture optimale des bactéries (atmosphère gazeuse, température, pression, etc.).
Elle permet la confection de milieux servant à cultiver, à isoler et à identifier les bactéries ainsi qu'à étudier leur sensibilité aux antibiotiques.
Dans l'industrie, elle permet de fabriquer des denrées alimentaires (vinaigres, yaourts, laits fermentés, choucroutes, ...), d'obtenir des substances d'origine bactérienne (toxines, certains antibiotiques, certains insecticides, protéines recombinantes) et d'obtenir des cellules bactériennes en grand nombre en vue de la préparation de vaccins ou de réactifs (antigènes utilisables dans le diagnostic).
Elle permet de réaliser des contrôles de stérilité (mesure de l'inactivation des bactéries après stérilisation) ou de densité bactérienne (contrôles de la qualité de l'air, contrôles des surfaces) ou le contrôle des denrées alimentaires et de eaux de boisson (recherche de bactéries responsables de toxi-infections alimentaires, recherche de bactéries responsables d'altérations, recherche de bactéries signant une contamination fécale).
Elle permet la mise au point de méthodes permettant de limiter la croissance bactérienne dans les aliments ou diverses substances biologiques (action du froid, de la chaleur, de l'acidité, de la salinité, de l'atmosphère gazeuse, etc.).